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J’accuse

[France]



écrit par Annick Lefebvre

Je voudrais que J’accuse (version française) ait la force d’un manifeste politique et l’humanité d’une confession intime.


(Sébastien Bournac)



Elles sont cinq. Il y a la Fille qui implose (aide-soignante à domicile), la Fille qui agresse (patronne de PME), la Fille qui intègre (une femme française noire qui vit dans le 93), la Fille qui adule (super fan de Céline Dion) et la Fille qui aime (figure de l’autrice en crise et aux amitiés particulières).

Ces femmes prennent dangereusement la parole comme d’autres prennent les armes. Elles ragent. Elles exposent leur vie banale, déterminées par instinct de survie à s’élever contre ce qui les étouffe, pollue leur quotidien et entrave leur avenir : préjugés, racisme, injustices sociales, inertie des dirigeants, oppression d’un système…

J’accuse dresse un état de la société française à travers le regard incisif et l’humour cinglant d’une autrice québécoise. Mise en scène avec justesse, épure et ingéniosité par Sébastien Bournac, la pièce brûlot d’Annick Lefebvre fait feu de tout bois, touche juste en titillant nos consciences depuis trop longtemps engourdies et apathiques aux petites violences du quotidien. Une claque théâtrale, un défouloir aux frustrations qui fait un bien fou !



Pourquoi adapter mon J’accuse (qui n’est pas celui de Zola) dans le contexte socio-politique français de 2021?

Ce qui a motivé l’écriture de la version originale de J’accuse, dans les années qui ont précédé sa création, à Montréal, au Québec, en avril 2015, c’est la sensation – voire la conviction, que les femmes (mais aussi les hommes) de ma génération (et aussi des autres générations), même si elles et ils évoluaient dans une société dite progressiste et égalitaire, une société qui se vantait et qui se vante encore d’être démocratiquement dirigée et de mettre de l’avant la liberté d’expression de tous.tes, ce qui a motivé l’écriture de ce texte qui cherche à exposer des zones de fragilités collectives, c’est la sensation – voire la conviction que les femmes (mais aussi les hommes) de ma génération (et aussi des autres générations) étaient coincé.es dans une spirale socio-politique qui les broyait. Presque littéralement. Spirale socio-politique qui les broie encore aujourd’hui. Et plus férocement, plus violemment, qu’il y a six ans. J’avais, en 2015, la volonté viscérale de leur offrir une tribune, à ces femmes d’apparence ordinaire, à ces femmes dont la voix, d’ordinaire, ne trouvait que peu d’écho sur la place publique. J’avais, (et j’ai encore) dangereusement envie de développer un « militantisme de l’intime », dangereusement envie que ces femmes témoignent de comment la simple exposition de leur vie banale peut devenir un formidable moyen de dénonciation et de résistance face à cette oppression – souvent sourde et incontestablement latente, qui leur coupe le souffle, en rendant, de surcroît, extrêmement pénible l’accomplissement de leur destinée d’apparence banale.

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Et si, depuis 2015, le Québec comme la France, à travers de multiples mouvements de soulèvements sociaux (luttes contre le racisme et le colonialisme, manifestations pour les droits LGBTQ2+, gilets jaunes, #moiaussi, #balancetonporc, etc.) tend à ce que certaines paroles, jusqu’ici bâillonnées, puissent, au minimum, être libérées, et au mieux, être entendues, cela demeure nettement insuffisant. Ces avancées ne sont que très minces et le contexte de l’actuelle pandémie de Covid-19 est venu exacerber, chez plusieurs, ce sentiment d’étouffement. Cette situation de crise, et la gestion (de merde !) qu’en a fait le gouvernement français au pouvoir n’a pu que raviver ce sentiment « d’être abandonné.e par l’État » au près d’un très grand nombre de ses citoyennes et de ses citoyens. Et c’est ici que J’accuse [France] devient pertinent. Parce que cette pièce ne prétend pas pouvoir rivaliser avec celles et ceux qui détiennent le pouvoir, cette pièce n’est pas naïve, elle sait qu’elle ne pourra pas changer le monde, mais elle sait qu’elle peut servir à enflammer les citoyennes et les citoyens, elle sait qu’elle peut les encourager à lever bien haut leurs poings dans les airs. J’accuse sait qu’elle est un bon vecteur à ras-le-bol et un formidable porte-voix. Je sais, pour en avoir écrit deux moutures, que ces cinq protagonistes nous donnent envie d’avoir le courage de nos convictions, et de prendre les armes qui sont à notre disposition pour mener un combat magnifique et grandiose, parce que ce combat (de fortune) est alimenté par le cœur. Par notre cœur.
C’est pour cette raison que je me suis donné pour mission de donner vie à J’accuse [France]. Parce que c’est, comme autrice, ma manière de militer politiquement, mais surtout poétiquement. Ma façon de persister à me tenir debout et à croire, coûte que coûte, en des lendemains (jamais complètement heureux) mais, à tout le moins, moins fatalement irrévocablement obscurs.

Annick Lefebvre, autrice

création 2022


Un projet de la compagnie Tabula Rasa

Texte : Annick Lefebvre
Mise en scène : Sébastien Bournac

Avec : Astrid Bayiha (en alternance avec Anaïs Gournay), Nabila Mekkid, Agathe Molière, Julie Moulier, Jennie-Anne Walker

Assistant à la mise en scène : Jean Massé 
Scénographie : Sébastien Bournac et Pascale Bongiovanni
Régie générale : Loïc Célestin
Création lumière : Pascale Bongiovanni
Création et régie son : Loïc Célestin
Régie plateau : Gilles Montaudié
Régie lumière : Jean-François Desboeufs / Manuella Mangalo (en alternance)
Construction décors : Gilles Montaudié et l’Atelier du ThéâtredelaCité
Création costumes : Elsa Bourdin
Production / Administration : Allan Périé, Julien Guiard
Diffusion : Sophie Roy
Réalisation vidéo : Baptiste Hamousin
Sculpture : Claire Saint Blancat
Coaching vocal : Rachel Joseph
Remerciements : Marie Reverdy

Production : Compagnie Tabula Rasa
Coproduction : ThéâtredelaCité – Centre Dramatique National Toulouse Occitanie, Théâtre Sorano – Toulouse, Théâtre de Lorient – Centre Dramatique National, Le Parvis – Scène nationale Tarbes Pyrénées, L’Archipel – Scène nationale de Perpignan.

La compagnie Tabula Rasa est conventionnée par la Direction régionale des affaires culturelles Occitanie et la Ville de Toulouse.
Avec l’aide du Conseil Départemental de la Haute-Garonne.
Avec la participation artistique du Jeune théâtre national.
Avec le soutien du CENTQUATRE-PARIS et du Théâtre 13 (accueils en résidence).
La compagnie Tabula Rasa est en partenariat artistique avec le Théâtre Sorano [2022/25].

Crédit photo d’illustration : Alice Lévêque
Crédit photos portraits et spectacle : François Passerini

Durée : 2h05


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Extrait vidéo


Revue de presse


Par Nicole Clodi / La Dépêche du Midi (19 mars 2022)

C’est en 2015 que Sébastien Bournac avait découvert Montréal la pièce J’accuse. »J’avais été séduit par le texte et par la connivence qu’induisait la pièce avec le public » souligne-t-il. Quelques années plus tard, le directeur du Sorano voit à l’affiche à Bruxelles, cette même pièce dans sa version belge, le principe même de la pièce étant de dénoncer, à travers la prise de parole de cinq femmes, les maux dont elles souffrent et dont souffre leur société. Il demande alors à l’auteure, la québécoise Annick Lefebvre, de créer une version française dont il réaliserait ensuite la mise en scène. C’est aujourd’hui chose et voilà J’accuse proposé sur la scène du Théâtre de la Cité.

Avocates et procureurs de leurs propres vies
On prévient: ça balance sévère. Prenant chacune, successivement, la parole, à la fois avocates et procureurs de leur propre vie, elles dénoncent, à coups de « C’est pas vrai que », les préjugés qui leur collent à la peau. La première sera l’auxiliaire de vie sans vie. Assommée par un travail aussi morne que ses jours. Sans reconnaissance. Seule. Puis la chef d’entreprise, un brin autoritaire, contrainte d’en faire deux fois plus, parce qu’elle est une femme. Perdue entre les normes imposées, la survie de son entreprise, les demandes de ses salariés. Seule elle aussi. Pas le temps pour une famille. La troisième est une jeune femme noire vivant dans le 93, Française, née en France, se sentant pourtant, en permanence exilée dans son propre pays, marquée du sceau discriminant de la différence. En plein wokisme souhaitant entre autres déboulonner la statue de Colbert.
Toutes accusent, crient leur douleur et leur rage. Puis, apportant une respiration, manière de faire évacuer la pression, surgit la fan de Céline Dion qui, elle retourne le gant. Faible résultat culturel d’une époque, elle accuse l’auteur Annick Lefebvre de sa prétention culturelle. Pourquoi ce mépris ? A-t-elle, elle, réunit 55 000 fans dans un stade? Ils servent à quoi ses mots ? Enfin, il y a la fille qui aime trop, qui souffre du chagrin d’une amitié rompue. Trop sensible pour ce monde de brutes, Une fille qui rêve d’un tendre hug.

Les monologues d’une belle longueur (un peu trop peut-être) sont lancés comme des boulets de canon par cinq comédiennes dont on saluera la performance, d’autant plus que quinze jours auparavant, fin février, les textes d’Annick Lefebvre n’étaient pas bouclés. Ça a du punch, ça claque, ça interpelle, on rentre dans ces vies avec, aussi, un peu d’effroi.
« Je me suis vite aperçue qu’il ne suffisait pas de changer les références d’un pays à l’autre pour que les textes fonctionnent » soulignait l’auteure lors du bord de scène proposé jeudi, à l’issue de la représentation. « Je suis venue des mois en France et ce J’accuse c’est ce que pays peut représenter pour les étrangers ». Le tableau, une Eau-forte, est à découvrir jusqu’à jeudi au Théâtre de la Cité.


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  • Jennie-Anne Walker, Nabila Mekkid, Astrid Bayiha, Julie Moulier, Agathe Molière © François Passerini

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